Saveur(s)

Clairvaux

Hier je suis allée visiter Clairvaux. Je n'avais pas en tête que l'abbaye et la maison centrale ne faisaient pour ainsi dire qu'une. De l'abbaye il ne reste rien puisque le premier directeur de ce lieu converti en prison a vendu toutes les pierres de l'abbaye à qui voulait au 19e siècle pour payer les factures de la prison. Il a d'ailleurs été révoqué, non pour ce "crime" mais pour avoir supprimé le lieu de culte puisqu'à cette époque les prisonniers devaient travailler et prier. Il ne reste donc que l'une des granges de l'abbaye à la splendide charpente en châtaigner et le bâtiment des convers dont vous avez un aperçu ci-dessous :


Curieuse visite d'un lieu monacal sur fond de mirador. Etrange ambiance entre le dépouillement cistercien du 12e siècle et la faste des bâtiments monacaux du 18e siècle. Bâtiments aujourd'hui largement en ruine et qui ont longtemps servi d'écrin à 3 prisons avant la construction de la centrale moderne actuelle enchassée dans les anciens murs d'enceinte:

une pour les enfants;
une pour les femmes, et parmi elles Louise Michel;
une pour les hommes, et parmi eux Claude Gueux qui inspira le Jean Valjean de Hugo, Guy Moquet sorti des oubliettes par Sarkozy récemment, Bontemps et Buffet, mutins en 1971 et tristement célèbres derniers condamnés à mort et exécutés à la Santé en novembre 72.

Visite du grand cloitre transformé en prison par Napoléon. Les prisonniers étaient entassés à une 20aine dans des pièces petites avec une lattrine creusée à même la pierre. En application de la loi de juin 1875 de prévention de la récidive, le régime de l'isolement cellulaire devint la règle.

Des dortoirs cellulaires (qui représentaient en 1875 un vrai progrès) furent aménagés à l'aide de cloisons en bois à claire-voie. Les cellules ainsi délimitées sur un espace de 1,5m sur 2m furent appelées "cages à poules", par analogie avec le quartier de la "ménagerie" de la maison d'arrêt parisienne de Saint-Lazare où étaient enfermées les prostituées. Le mobilier de la cellule se composait d'un lit en métal ou en bois, d'un matelas et deux couvertures, d'une tinette (vase de nuit) et d'un broc à eau (dixit la pénitenciaire).  Ce système de cellules préfabriquées est resté en usage à Clairvaux jusqu'en 1971.

Oui vous avez bien lu 1,5m par 2m pour vivre jusqu'en 1971 et si vous ne me croyez pas vous pouvez en voir les vestiges pendant la visite... Cela glace le sang.





Revenons à notre époque

Clairvaux est aujourd'hui est une maison centrale parmi les plus sécuritaires de France pour les longues peines (10 ans et plus). Quelques jours après l'élection du sécuritaire président de la république Sarkozy, je pense utile de relire l'appel de janvier 2006 envoyé au peuple français par dix détenus de Clairvaux ou de relire les analyses des deux mutineries de 2003, à Clairvaux toujours.


Pour un rétablissement effectif de la peine de mort pour nous

A ceux de l'extérieur osant affirmer que la peine de mort est abolie. Silence ! On achève bien les chevaux !...

Nous, les emmurés vivants à perpétuité du Centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France (dont aucun de nous ne vaut un Papon) nous en appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous.

Assez d'hypocrisie ! Dès lors qu'on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l'issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne fois pour toute que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d'aucun lendemain après bien plus de 20 années de misères absolues. A l'inverse des autres pays européens, derrière les murs gris de ses prisons indignes « la République des Lumières et des libertés » de 2006 nous torture et nous anéantit tranquillement en toute apparente légalité, « au nom du peuple Français », en nous assénant en fonction du climat social ou à la faveur d'un fait divers ou encore d'échéances électorales, mesures répressives sur mesures répressives sur le fondement du dogme en vogue du « tout sécuritaire. »..érigé en principe premier supplantant tous les autres.

Qu'on se rassure : de nos jours, ici, même « les mauvaises herbes ne repoussent plus. » I1 n'y a que le noir et le désespoir De surenchères en surenchères : la machine à broyer l'homme a pris impitoyablement le pas.

A quoi servent les peines de sûreté qu'on nous inflige quand une fois leur durée dûment purgée on n'a aucun espoir de recouvrer la liberté ? (depuis l'année 2000 à la Loi Perben II de 2005- on a fait mine de s'appliquer à légiférer en instituant de nouvelles « juridictions de libération conditionnelle », seulement, comme hier le ministre de la justice, les juges d'aujourd'hui à l'oreille de l'administration nous opposent... refus sur refus, nous vouant à des durées de détention à la Lucien Leger).

Pourtant sur « la finalité de la peine » l'Etat français, admettant que nous avons vocation de sortir un jour, et s'inscrivant dans le cadre des recommandations du Conseil de l'Europe a posé pour principe s'étendant aux longues peines et aux (700) condamnés à perpétuité que : « L'exécution des peines privatives de liberté (...) a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer sa réinsertion » ? En réalité : tout est au châtiment.

Combien d'entre nous - du moins pour ceux qui ne sont pas décédés depuis - ont déjà purgé plusieurs années au-delà même de leur peine de sûreté de 18 ans sans se voir présenter à ce jour une réelle perspective de libération ? Après de telles durées de prison tout rescapé ne peut que sortir au mieux sénile et totalement brisé. En pareil cas, qui peut vraiment se réinsérer socialement ? En fait, pour toute alternative, comme avant 1981, ne nous reste-t-il pas mieux à trouver plus rapidement dans la mort notre liberté ?

De surcroît, pour nous amener à nous plier à ce sort d'enterré vif, on nous a ces dernières années rajouté murs, miradors, grilles en acier et maintes autres contraintes. Le tout, pour faire taire toute velléité. assorti de « commandos » de surveillants casqués, armés et cagoulés, à l'impunité et aux dérives vainement dénoncées çà et là, dans l'indifférence générale (...n'en croyez rien : il y a ici une place pour vous et pour vos fils. C'est encore plus vrai que jamais à l'heure où l'on préfère supprimer à tour de bras dans les écoles du pays bien des postes d'instituteurs et d'éducateurs pour en lieu et place miser sur l'embauche de toujours plus de nouveaux policiers et surveillants de prison et en érigeant de nouvelles prisons et autant de QHS).

Aussi, parce qu'une société dite « démocratique » ne devrait pas se permettre de jouer ainsi avec la politique pénale visant à l'allongement indéfini des peines, selon la conjoncture, l'individu ou les besoins particuliers : À choisir à notre mort lente programmée, nous demandons à l'État français, chantre des droits de l'homme et des libertés, de rétablir instamment pour nous tous la peine de mort effective.

Clairvaux, le 16 janvier 2006

Soussignés, les susnommés ci-après du mouroir de Clairvaux : Abdelhamid Hakkar, André Gennera, Bernard Lasselin, Patrick Perrochon, Milivoj Miloslavjevic, Daniel Aerts, Farid Tahir, Christian Rivière, Jean-Marie Dubois et Tadeusz Tutkaj



28/05/2007
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