Saveur(s)

D... comme doigts

Dix capteurs sensibles, des milliers de terminaisons nerveuses qui viennent inonder d'informations le cerveau. Trente articulations, trente possibilités de mouvements. Je ne peux pas m'empêcher de penser à tous les animaux privés de main, privés de cette incroyable pince entre le pouce et l'index que nous partageons avec si peu d'êtres animés.
Dix doigts donc qui se synchronisent ou se désynchronisent, qui glissent avec la même aisance sur le clavier d'un piano ou sur les courbes d'une personne.
Doigts qui épousent avec une incroyable précision le moindre relief, creux, salière, tête d'os, galbe du muscle, pointe des cils, tremplin du nez, crin des cheveux, soie des lèvres.

Doigts qui se faufilent entre les orteils, qui palpent et massent un pied. Le pouce au creux du plexus, ouverture en soleil pour amplifier la respiration. Pouce qui rampe le long du diaphragme délogeant la moindre tension. Ballet entre le pouce et l'index qui à eux seuls font presque tous le travail du massage du pied. Appui et contre appui, chenille montante ou descendante, le pouce poursuit une ligne que lui seul détecte, unique d'une personne l'autre.

Ce n'est pas moi qui décide, ce sont mes doigts qui savent, qui sentent la justesse du chemin, qui trouvent et dénouent les noeuds. Aucune volonté, aucune autre intention que celle d'être là. 100% là, disponible aussi pour accueillir ce qui vient. Sursaut involontaire, sommeil, cri muet, surprise, yeux grands ouverts, larmes parfois même qui coulent de la mémoire du corps.

Troublantes images aussi qui passent du corps de l'autre à mes doigts pour venir former dans ma rétine une image bien nette. Une image que je n'ai pourtant jamais vue. Certaines sont parfois pas faciles à recevoir. Douleur ou souffrance de l'autre fichée dans une image enkystée dans le corps, à l'insu du mental. Masser c'est accepter d'être éventuellement medium.

Les doigts changent de rythme et de pression, le colon capricieux n'aime pas trop qu'on le titille ni le grêle. Alors défaire en douceur les noeuds comme un grand plat de spaghettis emmêlés ! Vessie, reins surrénales, colonne vertébrale, gonades, sexe, hanche, genoux, épaules. Mes mains épousent le pied et le malaxent.

Doigts contre orteils, paume contre paume, laisser au corps le temps de s'apaiser, de goûter son nouvel équilibre. Et doucement, tout doucement se séparer. Parfois les pieds retiennent les doigts pour prolonger encore cette étrange intimité, ils ne sont pas encore prêts à laisser aller. Ne rien brusquer, aller au rythme du corps. Chacun retrouvera tôt ou tard son espace intime, son énergie.


24/06/2007
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