Saveur(s)

Correspondre avec un(e) détenu(e) du Couloir de la Mort.

    C'est un engagement difficile, c'est vrai, et qui peut changer votre vie comme celle de votre interlocuteur. Vous vous engagez en général pour des années. Votre choix repose sur une décision dont vous êtes seul(e) à comprendre les motivations profondes et la signification. Pourtant, avant de prendre la plume, prenez le temps de vous interroger sur ces motivations. Vous éviterez des déconvenues et des souffrances. A l'évidence, personne n'a le droit de déterminer les modalités de cet échange si personnel. Nous avons simplement souhaité témoigner ici de notre expérience pour la partager avec vous.

    La première lettre que vous écrirez peut sembler la plus difficile dans la mesure où elle donne le ton de vos futurs échanges. Il suffit d'être « simple Â» et ne pas donner un tour trop solennel aux propos. C'est un peu Bas les masques !, et ce n'est pas donné à tout le monde...

    Se présenter, indiquer à votre interlocuteur vos activités, vos goûts, vos centres d'intérêt, voire vos passions semblent une bonne base de départ. Vous vous rendrez compte rapidement que c'est ce que vous êtes qui importe, pas ce que vous avez. Ce sera un moyen pour votre interlocuteur de vous situer et de se situer par rapport à vous. Vous pourrez aussi expliquer ce que vous attendez ou non d'une relation épistolaire. Les relations qui durent se tissent mieux dans la transparence que dans le non-dit et vous serez étonné(e) de découvrir à quel point votre correspondant(e), s'il a un peu d'expérience, devine ce que vous n'écrivez pas.

    En fait, souvent c'est lui qui choisira le statut et la nature de votre échange sur la base d'éléments qui l'intéresseront. Vous représentez à ses yeux un lien essentiel avec la vie réelle dont il est privé et une ouverture, un appel d'air exceptionnels.

    Les premières lettres peuvent être assez formelles. Cela n'a pas grande importance. Peu à peu, se noueront des liens d'intimité et de fraternité dont la force ne fera que croître avec le temps. Prenez la précaution de vous renseigner avant sur ce que vous pouvez envoyer par courrier. En général, rien d'autre que les feuilles sur lesquelles vous écrivez et des photos de dimension classique. Tout le reste est considéré par l'administration pénitentiaire comme de la contrebande.

    Chaque lettre, quel qu'en soit le contenu, représente pour un détenu du Death Row un moment privilégié. C'est pour lui la preuve évidente qu'il vit, qu'il n'est pas retranché du monde, comme le système le voudrait, qu'il participe encore à l'aventure humaine.

    Mais cet échange n'est pas à sens unique. Si vous apportez beaucoup à votre correspondant, lui aussi, à travers son expérience, changera profondément votre vie, sans que vous vous en aperceviez immédiatement. Au fil du temps, il pourra parfois lui-même vous aider à assumer les difficultés que vous rencontrez dans votre vie et dont vous lui ferez peut-être part.

    Si, en tant que femme, vous entamez une correspondance avec un détenu, il est souhaitable de mettre les choses au point rapidement pour ne pas le bercer d'espérances illusoires. Les conditions de détention, la négation de toute de sexualité ne font qu'aiguiser ses espoirs, ses fantasmes et ses désirs. Si vous posez nettement vos limites, si vous refusez toute forme d'ambiguïté, votre interlocuteur comprendra votre point de vue et en tiendra compte. Dans le cas contraire, vous vous exposez à des souffrances inutiles pour les deux.

    Femme ou homme, cet engagement que vous allez prendre peut changer deux vies, celle de votre interlocuteur et la vôtre. En correspondant, vous contribuez à mettre bas un édifice de déshumanisation qui veut reléguer chaque détenu au rang d'objet promis à la mort, une destruction finale administrée au quotidien.


    J'ai écrit cet article avec Laurent M. pendant l'été 2001, dans le numéro 2 de Lettre capitale, la revue de l'association Lutte pour la justice. Je n'ai jamais cessé d'écrire  à un détenu, et c'est pour cela que ce texte me semble toujours d'actualité, et la correspondance sans masque, toujours aussi vitale.

    A le relire, ce texte a pourtant des accents un peu solennels qui me gênent aujourd'hui, mais je n'ai pas envie de le retoucher. Ce serait un autre texte que je pourrais écrire aujourd'hui avec ces dernières années d'expérience, sur la difficile question de l'argent, de la culpabilité ou de l'innocence, des relations avec les avocats.

    Si cela vous tente vous aussi, si cette aventure humaine a du sens pour vous, sans aller jusqu'à écrire à des détenus aussi marginalisés, vous pouvez correspondre avec des détenus en France notamment via l'association de Courrier de Bovet qui a d'ailleurs un joli billet sur "pourquoi écrire ? et qui fait du bien joli travail. Il s'agit toujours d'une chose profondément humaine : rompre l'isolement et créer du lien.



14/05/2008
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