Saveur(s)

A... comme absence

Je fais une toilette de chat avant de me glisser dans mon lit tout froid. C'est fou ce que ça met comme temps à se réchauffer un lit quand on est tout seul dedans. A donner des envies de bouillottes de Mamie ! Je regrette presque de ne pas avoir glissé de braise dans le bassinoire en cuivre pour réchauffer mon lit.

Depuis que je me suis allongée, je n'arrive pas à me défaire de l'impression que je ne suis pas tout à fait seule dans la pièce. Au début, je n'y ai pas prêté d'attention parce que souvent, au coucher, j'entends avec plus d'acuité les bruits de la maison, comme si mes sens étaient exacerbés. Mais aujourd'hui c'est différent, ce n'est pas une perception accrue, c'est une présence, pas hostile, non, mais une présence forte, humaine. Je me sens très partagée entre le bien-être de ce lieu et le trouble de cette présence discrète, légère, mais bien là. Finalement, je ferme les yeux mais je ne peux pas m'empêcher de chercher la présence qui me déroute. J'ai presque envie de la chercher du bout des doigts tant cette présence est palpable.

Le matelas ferme est récent, mais je sens quand même un creux particulier, presque imperceptible dans la diagonale. Bien sûr cette empreinte est trop grande pour moi, mais elle est rassurante. J'ai l'impression de m'allonger avec une odeur familière, une saveur retrouvée, une douceur connue. Un talisman. La diagonale est tellement nette que cela m'intrigue. Il me suffit de m'allonger comme à l'accoutumée pour ne plus rien sentir. Mais si je m'incurve, si je glisse un bras, une jambe sur cet axe, une impression familière m'enveloppe. Plus je me diagonalise, plus l'intensité augmente. Ce devait être un homme, pas une femme, grand et donc obligé de dormir un peu chien de fusil dans ce vieux lit paysan. J'ai la chance d'être petite, c'est une chance, au moins pour les lits : mes pieds ne dépassent que si j'en ai envie. Je joue à cache-cache avec mes perceptions comme je jouais quand j'étais môme. Rien ne résiste à ce qui m'enveloppe dans cette chambre-là. Comme si je m'allégeais de tous les bruits inutiles de ma vie, des questions sans réponse que je nourris comme un crève-cÅ“ur. J'ai le sentiment de vivre un instant rare, je ne sais pas pourquoi. Un don pur. Si j'avais plus d'imagination, je pourrai sans doute croire à un signe, à un message divin…

Je ne sais qui doit apprivoiser l'autre, de l'absent ou de moi. J'ai l'impression qu'il est assis au bout du lit et qu'il me parle comme s'il me connaissait depuis toujours. Il murmure des mots que je ne comprends pas, et cela me fait du bien. Loin de m'inquiéter, ses mots m'apaisent, petite musique intime, et me donnent un rythme serein, une énergie étrange.

Au début, je parle à voix haute, comme si j'espérais une réponse, comme s'il pouvait me répondre. Toujours à ressasser les mêmes peurs, les mêmes soucis. Je le hèle, le sollicite, le prend à partie. J'aimerai tant qu'il réponde aux questions à ma place, lui qui semble si bien me deviner. Je m'accroche aux mots comme une désespérée, comme si eux seuls pouvaient être mes messagers, mes sauveurs. J'ai peur, si peur de lâcher, si peur de basculer. Imperturbablement, patiemment, il continue son murmure et me rassure. Mes questions s'usent et se vident, elles se révoltent et s'échappent, je ne peux plus rien faire sinon lâcher prise, cesser de résister. La respiration creuse mon ventre, comme la houle dans la vague, dans un mouvement ample et lent. Je respire si profondément que l'oxygène me saoule. J'ai chaud, incroyablement chaud. La peur à nouveau m'étreint, je cherche ma maitrise perdue.

Mon corps pèse des tonnes, je n'arrive plus à remuer. Je voudrais m'enfuir. Il est toujours là, tellement présent qu'il est presque vivant. Il ne m'empêche pas de partir, il m'empêche de me diviser. J'ai l'impression que les murs de la chambre sont des miroirs qui me renvoient une image morcelée, que je suis prête à me briser. Pourtant je m'enfonce dans du coton, vidée de toute volonté. Un instant je pense à l'hypnose et me demande si on peut s'hypnotiser tout seul ou à distance. Je perds la notion de durée et de contours. Mon corps est paisible (je ne pourrai plus me lever même si je voulais), mon cerveau aussi, brutalement. Je ne sais pas si je pense ou si je rêve mais je me sens étonnement présente, dense, concentrée, je ne trouve pas comment l'exprimer. Je ne comprends pas d'où je pense, ni pourquoi le tumulte intérieur s'est tu, ni pourquoi les courants contraires finalement se réconcilient, ni pourquoi la clarté fraie son chemin en moi, et peu importe. Ce qui monte et balaie mes scories (moi qui croyait me connaitre !), c'est un curieux mélange de joie, de lucidité et de tendresse ; quelque chose de léger qu'on doit pouvoir appeler la paix m'envahit à présent. Je m'abandonne complètement. Il apaise mon tumulte sans révolte, je sais que je pourrai l'appeler à nouveau. Il me sourit, je ne suis plus seule, je ne serai plus jamais seule. Je sais qu'il ne me quittera pas, qu'il fait désormais partie de moi. Je l'appelle mon ange, tout simplement, dans le bonheur de l'avoir trouvé.




25/02/2007
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